Gagne-pain

Un cuisinier ne marche pas sur les œufs

December 30, 2016
microrécit

Il passait ses journées à cuisiner. Il confectionnait des omelettes pour les autres : les clients, les affamés qui venaient prendre une bouchée. Par défaut, il était lui-même grand consommateur de ce plat simplissime, à raison de deux ou trois par semaine. Il aimait les couvrir de poivre moulu.

Tous les jours, il cassait œuf par œuf la monotonie de son travail. Les heures s’écoulaient au fil de l’accumulation de coquilles vides dans la corbeille à sa droite. Une chaleur écrasante se dégageait parfois de la plaque chauffante ou il s’installait. Il la fusillait du regard et s’essuyait le front avant d’y lancer son mélange de jambon et fromage.

À un instant précis de la mi-cuisson, il saupoudrait le tout d’une pincée de son paprika de choix, pour le goût et la couleur. Les cantines avoisinantes offraient elles aussi des omelettes. Il s’agit, après tout, de l’un des mets les plus communs de toute la planète. Il avait trouvé que son épice lui donnait un avantage secret sur les autres établissements. Il n’était pas près de l’abandonner.

Les gourmands qui s’amenaient chez lui étaient les plus faciles à satisfaire. Sa clientèle était surtout locale et pressée. Il la préférait aux vacanciers venus d’ailleurs qui avaient tendance à défendre leur version du mets et à trouver tous les défauts à ses omelettes à lui. Si, par hasard, un touriste se retrouvait par accident au comptoir, il doublait la dose de paprika… juste pour voir.