Inaugure

J’entends les gens dans la rue

January 21, 2017
microrécit

J’entends les gens dans la rue. Ils crient, scandent des slogans, avancent à pas certains dans l’inconnu du nouvel ordre. Ils n’ont pas froid aux yeux malgré les températures du mois de janvier.

Dehors, le monde inaugure un président. Il prend place pour la première fois.

Je le devine même si la télé est éteinte et la radio muette. Seule une page noire emplit l’écran d’ordinateur, impatiente que j’y fasse défiler des paroles en lignes droites.

Je n’ai pas besoin de l’actualité pour savoir ce qui se passe.

On annonce le début d’une ère, d’un nouveau monde. J’erre dans un univers où mes repères s’effacent, où je ne reconnais plus ni les mots, ni les lettres, ni les visages qui me regardent.

Aujourd’hui, on donne le coup d’envoi et on reste sans réponses. Dans quel monde vivrons-nous dans un an, dans quatre ans?

Parfois, la lutte fait partie de nous; nous formons l’obstacle au déclenchement. Nos corps, nos idées, nos plumes. À certains moments, même, c’est moi. Je sais me déguiser en clôture, en barricade, en bouclier. Je peux ériger un mur entre la puissance et la faiblesse, entre la richesse et la pauvreté, entre la pleine vitesse et l’arrêt complet.

Il faut de la force pour se poser en obstacle, pour se coucher à plat ventre sur le chemin de fer. Du cran, c’est composé à partir de protéines et de sucres, un peu comme l’énergie. Sans carburant, les pieds restent collés dans la boue.

L’inauguré frappe à la porte. Ses appels à la haine résonnent. Je le capte par-delà les frontières, de l’autre côté du continent. La distance ne manifeste sa loyauté envers personne.

J’entends les gens dans la rue. Ainsi commence le commencement, ce temps où on ne peut tenir pour acquis ce qu’on a su au préalable. C’est ici que la résistance s’enclenche et poursuit le cours qu’elle a suivi depuis des siècles. Je sens que nous nous opposerons, que nous nous organiserons, que nous vaincrons. Les gens dans la rue, c’est de bon augure.